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Retrait tardif et fautif par la Douane d’un agrément de commissionnaire et d’une certification OEA : effet sur la dette !

Transport - Douane
24/03/2021
Lorsque la Douane maintient à tort l'agrément d’un commissionnaire et sa certification d’opérateur économique agréé (OEA) – ce qui laisse ainsi croire à la bonne exécution des formalités de dédouanement par celui-ci et à sa fiabilité financière –, elle commet une faute en lui permettant de continuer, jusqu'à la veille de l'ouverture de la procédure collective, de percevoir d’un importateur des fonds destinés au paiement de la dette douanière (TVA à l’importation) qui ne servent en réalité pas à l’acquitter : en effet, le paiement à ce commissionnaire agissant en représentation directe, avant l'ouverture de la procédure collective, ne serait pas intervenu si la Douane, qui connaissait sa situation dégradée bien en amont, lui avait retiré « en temps utile » son agrément et sa certification ; et cette faute de l’administration, qui cause un préjudice à l’importateur s’agissant de la TVA à l’importation qui lui est réclamée, est réparée par des dommages et intérêts à hauteur de cette dette, selon une décision de la cour d’appel de Rouen du 11 mars 2021.
 
Un opérateur procède à des importations des États-Unis et charge un commissionnaire de transport de l’acheminement des celles-ci ; ce commissionnaire-ci confie l'accomplissement des formalités douanières à commissionnaire en douane agréé qui souscrit les déclarations sous le régime de la représentation directe. Le commissionnaire de transport a adressé une facture pour la TVA à l’importation et les droits de douane à l’importateur qui les lui a réglés en mars 2015 et le 14 avril 2015. Par jugement de ce même 14 avril 2015, le tribunal de commerce a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard du commissionnaire en douane, convertie en liquidation judiciaire par jugement du 26 mai 2015. La Douane adresse le 10 juillet 2015 un avis de mise en recouvrement (AMR) à l’importateur, personne désignée comme destinataire réel des biens sur les déclarations en douane au titre de la TVA impayée par le commissionnaire en douane : ce dernier n’avait pas utilisé les fonds reçus du commissionnaire de transport pour acquitter cette TVA à l’importation due par conséquent en application de l’article 293 A du CGI par l’importateur.
 
Double faute de la Douane
 
L’importateur, qui serait ainsi dans l’obligation de payer une nouvelle fois la TVA à l’importation, conteste l’AMR et, la Douane rejetant cette contestation, saisit le juge. Devant la cour d’appel, il avance l’argument selon lequel la Direction générale des douanes a commis une faute et engagé sa responsabilité à son égard en maintenant l'agrément du commissionnaire en douane et sa certification d’opérateur économique agréé (OEA) jusqu'à l'ouverture de la procédure collective, lui permettant ainsi de poursuivre son activité en faisant croire à sa fiabilité financière et à la bonne exécution des formalités de dédouanement… et donc au paiement de la dette (TVAI) à cette administration. Autrement dit, en ne retirant pas l’agrément ni l’autorisation d’OEA, la Douane a commis des fautes et engagé sa responsabilité, causant à l’importateur un préjudice égal à la dette de TVAI qui lui est réclamée. Et la cour d’appel donne raison à l’importateur en estimant que la Douane aurait dû retirer à temps, d’une part la certification OEA, parce qu’elle avait connaissance, en amont de la procédure collective, de la situation dégradée du commissionnaire en douane, et d’autre part son agrément, parce qu’il avait contrevenu gravement à l'une des législations que la Douane est chargée d'appliquer en accumulant des défauts de paiement de la TVAI destinée à cette administration.
 
Preuve du retrait tardif de la certification d’OEA par la Douane
 
Pour mémoire, l'article 14 undecies de l’ex-règlement d’application du Code des douanes communautaire (CDC, RA) prévoyait que la solvabilité financière du demandeur à la certification d'OEA est réputée satisfaite si elle peut être attestée pour les trois dernières années, étant précisé que la solvabilité s'entend d'une situation financière saine, suffisante pour permettre au demandeur de remplir ses obligations, compte tenu des caractéristiques du type d'activité commerciale (cette solvabilité financière qui est donc une condition du statut d’OEA est bien sûr reprise par le Code des douanes de l’Union). L'article 14 octodecies de l’ex-CDC, RA, prévoyait que l'autorité douanière de délivrance procède à un réexamen des critères et conditions en vue d'une suspension ou d'un retrait de la certification OEA en cas d'existence d'éléments permettant raisonnablement de penser que l'opérateur économique agréé ne remplit plus les conditions applicables (là aussi, le CDU comporte des dispositions en ce sens).
 
Selon la Douane, une procédure de réexamen a été déclenchée et le 21 juillet 2015 et la DGDDI a procédé au retrait du certificat dans les bases communautaires, décision qui a pris effet le lendemain : cette administration estime donc que le suivi de la certification d’OEA du commissionnaire en douane été effectué conformément aux exigences communautaires. Autrement dit, elle n’aurait pas commis de faute.
 
Au contraire, pour la cour d’appel, la Douane « a commis une faute en retirant tardivement la certification OEA » au commissionnaire en juillet 2015, alors que, ainsi qu'il est déclaré au point 6 de l'exposé des motifs du règlement qui a introduit les articles précités du CDC, RA, « afin de maintenir un niveau élevé de sécurité, les autorités douanières doivent constamment vérifier le respect, par les opérateurs économiques agréés, des conditions applicables », en précisant au point 5 qu'il « convient de considérer les opérateurs économiques qui satisfont aux critères prévus pour l'obtention du statut d'opérateur économique agréé et se positionnent donc favorablement par rapport aux autres opérateurs, comme des partenaires fiables dans la chaîne d'approvisionnement. »
 
Remarques
Le CDU et son acte d’exécution prévoyant une procédure de révocation de l’autorisation lorsqu’une ou plusieurs des conditions fixées pour son adoption ne sont pas ou plus respectées, la solution serait la même sous son empire (voir Lamy guide des procédures douanières, n° 855-98).
 
Difficultés financières connues de la Douane : la preuve
 
Pour le juge, la Douane avait connaissance de la « situation financière dégradée puis très dégradée » du commissionnaire bien en amont et au moins depuis juillet 2013. Cette situation amenait ce commissionnaire à décaler systématiquement le paiement de la TVA qui lui était adressée par ses clients (culminant à un arriéré de près de 4 M€) et la Douane, « qui constatait les paiements en retard et les sanctionnait parfois par l'émission d'ATD, a été destinataire de demandes de dispense de cautionnement de transit communautaire – qu'elle a refusées – et a été partie prenante à des réunions dans le cadre du mandat ad hoc de Z », désigné en qualité de mandataire ad hoc par le président du tribunal de commerce. Or, ce mandataire ad hoc souligne :
- « que l'état de cessation des paiements avait clairement été exposé aux partenaires de l'entreprise (LCL-Douanes) dès la première réunion intervenue le 26 septembre 2014 pour "éteindre l'incendie" lié à la dénonciation par la banque [X] de ses lignes de cautionnement prépondérantes pour la poursuite de l'activité » du commissionnaire ;
- que la Douane avait été associée aux consultations de Z et avait participé aux réunions qu'il avait organisées avec les banques les 26 septembre 2014 et 5 février 2015, en la personne d'une fonctionnaire de haut niveau, receveuse régionale des douanes, les difficultés du commissionnaire étant en effet connues par la Douane : en particulier, un dossier en vue d'une exonération du cautionnement de transit communautaire avait été transmis à la Douane le 29 septembre 2014 et refusée le 1er octobre 2014, car « le principal obligé doit démontrer une bonne capacité financière, suffisante pour satisfaire ses engagements, en présentant aux autorités douanières les éléments attestant qu'il dispose de moyens lui permettant de payer le montant de la dette susceptible de naître à l'égard des marchandises en cause » ;
- qu'au cours des réunions des 26 septembre 2014 et 5 février 2015 auxquelles avait participé un représentant de la Douane, le problème du décalage systématique par le commissionnaire du paiement de la TVAI avait explicitement été évoqué pour trouver une solution ; un arriéré « très significatif » y était aussi signalé ;
- que l'incapacité régulière du commissionnaire de payer à bonne date la TVA entraînait la délivrance régulière d'avis à tiers détenteurs par la Douane « qui avait sensibilisé les banques partenaires de l'entreprise et les avaient incitées à dénoncer les cautionnements [à son] profit » ;
 
De plus, un audit de l'ensemble des sociétés du groupe auquel appartient le commissionnaire en douane a été ordonné le 6 octobre 2014 par le président du tribunal de commerce, avec notamment pour mission « examiner le financement et les résultats prévisionnels de l'année 2014 desdites sociétés en prenant en considération les accords conclus avec les Douanes et les banquiers du groupe » ; s'agissant du commissionnaire précité, l’auditeur désigné d’une part rappelait que le 11 septembre 2013, la commission des chefs de service financiers (CCSF), « comprenant un représentant de l'administration des douanes », l’avait autorisé à étaler sa dette de TVA due à la recette des douanes, et d’autre part concluait son rapport en indiquant que la société commissionnaire « a été un foyer de pertes », qu’au 31 octobre 2014, date de la dernière situation comptable, ses capitaux propres étaient sensiblement négatifs et que « sans activité et sans trésorerie à la fin de l'année 2014, elle [était], de fait, en état de cessation des paiements ».
 
Absence de risque pour la Douane : une « circonstance aggravante » ?
 
Avec l'ouverture de la procédure collective le 14 avril 2015, les encaissements de TVA les plus récents ne pouvaient plus être reversés à la Douane, à l'exemple de la somme payée par l’importateur entre les mains du commissionnaire de transport et reversée au commissionnaire en douane, qui ne l’a pas acquittée à la recette des douanes. Or, précise le juge, « le risque financier de l'administration des douanes était nécessairement presque inexistant grâce à sa prérogative de rechercher le paiement des droits impayés entre les mains du destinataire réel des biens au sens de l’article 293 A du code général des impôts, disposition dont elle a fait usage à l'égard de [l’importateur], (…), dont le paiement de TVAI a été absorbé dans le déficit [du commissionnaire en douane] ».
 
Preuve du retrait tardif de l’agrément de commissionnaire en douane par l’administration
 
L'article 21 de l’arrêté du 22 décembre 1998 relatif aux personnes habilitées à déclarer les marchandises en détail et à l'exercice de la profession de commissionnaire en douane, prévoit que la procédure de retrait de l'agrément peut être engagée chaque fois qu'une personne physique ou une personne morale, titulaire de l'agrément, ou une personne physique habilitée à représenter ladite personne morale, a contrevenu gravement à l'une des législations que le service des douanes est chargé d'appliquer ou a été mise en liquidation judiciaire.
 
Certes, à la date des versements en cause de l’importateur, la Douane ne pouvait légalement procéder au retrait de l'agrément du commissionnaire en douane, ce dernier n'ayant pas encore été mis en liquidation judiciaire. Toutefois, selon le juge, cette administration « ne peut sérieusement prétendre que [le commissionnaire en douane] n'avait pas contrevenu gravement à l'une des législations que le service des douanes est chargé d'appliquer, alors que ce service est chargé de la collecte de la TVA à l'importation et qu'il apparaît que ce commissionnaire accumulait les défauts de paiement de la TVAI destinée aux recettes des douanes, qui se sont additionnés à plus de deux millions d'euros, (…), au su de l'administration des douanes qui participait aux négociations avec le mandataire ad hoc et qui n'a réagi qu'à l'ouverture de la procédure collective, assurée qu'elle était de récupérer la TVA impayée sur les destinataires réels des biens » (voir ci-dessus l’article 293 A précité).
 
Remarques
La solution serait la même avec le représentant en douane enregistré (RDE) qui a pris la suite du commissionnaire en douane agrée avec l’entrée en application au 1er mai 2016 du Code des douanes de l’Union : l’arrêté du 13 avril 2016, modifié, et les circulaires de 2017 et 2018 relatives aux modalités d'enregistrement et de suivi des RDE prévoient aussi des cas d’abrogation et de retrait de l’enregistrement (voir Lamy guide des procédures douanières, n° 210-16).
 
Plus d’information sur ce sujet dans Le Lamy guide des procédures douanières, n° 210-8, et dans Le Lamy transport, tome 2, n° 1579. La décision ici présentée est intégrée à ces numéros dans la version en ligne des ouvrages sur Lamyline dans les 48 heures au maximum à compter de la publication de la présente actualité.
 
Source : Actualités du droit